La Côte d’Albâtre, entre falaises et jardins

De l’estuaire de la Seine à celui de la Somme, la Côte d’Albâtre étire son impressionnante muraille de hautes falaises de craie, échancrée de “valleuses”, des petites vallées s’ouvrant sur des grèves de galets onctuées de stations balnéaires, de ports de pêche et, parfois, de jardins extraordinaires. Chemin faisant, paysages grandioses et sites plus intimistes se révèlent dans leur singulière beauté.

 

Texte : Annette Soumillard

 

 

Du pays de Caux jusqu'à la Manche

 

C’est un étonnant littoral que celui de la Côte d’Albâtre qui s’étend du Havre à Dieppe – et même jusqu’au Tréport vous diront certains. Ici, sur plus d’une centaine de kilomètres, les plateaux ondulants du pays de Caux s’arrêtent brutalement au contact de la Manche, par de hautes falaises en balcon sur la mer. Leur impressionnante verticalité, renforcée par leur blancheur crayeuse, a inspiré de nombreux peintres, fascinés par ces paysages aux couleurs éclatantes ou au contraire pastel, selon les caprices de la lumière. Cette même lumière (adjointe à une pluviométrie certaine !) est aussi nourricière des nombreuses espèces florales et végétales qui s’épanouissent dans les jardins “seinomarins”, notamment ceux, remarquables et très réputés, de Varengeville-sur-Mer, aux environs de Dieppe où se termine cet itinéraire. Mais pour l’heure, il commence au Havre en empruntant la route côtière en direction d’Étretat. Celle-ci fait d’abord une rapide incursion dans Sainte-Adresse, petite commune limitrophe, devenue station balnéaire et surnommée le “Nice havrais”, avant de rejoindre Cauville-sur-Mer et tracer directement sur Étretat. Empruntez plutôt la D111 qui sinue entre la côte, où les falaises de craie s’érigent déjà avec puissance, et l’arrière-pays immédiat où les fermes semblent flotter sur les terres. Au sortir du petit village de Saint-Jouin-Bruneval, une route descend vers le site du port pétrolier d’Antifer, semblant au ralenti et, surtout, lui tournant radicalement le dos, vers une superbe plage récemment aménagée par la commune : grand parking, cabines de plage, douches et petits snacks.

 

 

Étretat et ses célèbres falaises

 

Après cette pause, vous rejoindrez Étretat et ses célèbres falaises, ciselées en portes et en aiguilles. Le site dans lequel s’est enclavé ce modeste village de pêcheurs, propulsé au rang de station balnéaire depuis le début du XIXe siècle et connue dans le monde entier, se mesure aux superlatifs exprimés face au spectacle que nous offre ici la nature. Pour en prendre la pleine mesure, il faut rejoindre le GR21 qui chemine au sommet de la porte d’Aval et de l’aiguille homonyme. À quelque 70 mètres de hauteur, ces architectures minérales parfaites, encadrées au sud-ouest par le gigantesque “portail gothique” (selon Maupassant) de la Manneporte, vibrent sous l’éclat de la lumière, tandis qu’alentour, goélands, mouettes et autres oiseaux marins se jouent des ondulations parfois violentes du vent et frôlent du bout des ailes les vagues blanchies d’écumes. Lorsque la marée basse l’autorise (et en prenant soin de connaître les horaires de marées), vous pourrez aussi aller contempler, d’en bas, la porte d’Aval et l’aiguille creuse, à l’extrémité de la plage. Elles vous paraîtront encore plus impressionnantes par leur verticalité, notamment lorsque vous vous trouverez dans la baie du Petit-Port… De retour, empruntez la longue digue du Perrey qui protège les maisons d’Étretat des colères de la Manche. Faute de port, c’est sur la grève de galets, sans cesse modelée par les vagues, que les pêcheurs hissent encore leurs barques comme sur les tableaux peints, autrefois, par Monet. Deux reproductions se trouvent d’ailleurs sur la digue, tandis qu’au bout, vers le nord-est, un escalier mène sur la falaise d’Amont.

 

 

Yport et Fécamp par la côte

 

Après une halte à la chapelle des Marins que jouxte le musée Nungesser et Coli – érigé à la mémoire de ces pionniers de l’Aéropostale disparus dans l’Atlantique à bord de L’Oiseau Blanc en 1927 –, il est diablement tentant de s’engager sur le GR21 en direction d’Yport. Mais ce sentier – parfois très étroit – qui borde la falaise à plus de 90 mètres de haut, est un défi permanent au vide. Ceux qui ont le vertige apprécieront de regagner leur véhicule pour atteindre Yport par la route. Enchâssé dans sa valleuse, l’ancien port de pêcheurs garde aussi la mémoire de la Belle Époque à travers ses villas au charme un peu grandiloquent mais délicieusement rétro et ses cabines de plage bleues et blanches, souvenirs des temps où artistes, écrivains et autres personnes de la haute société se pressaient aux bains. De là, par la côte, Fécamp est tout proche. Ce port, encore très actif, nous plonge dans l’univers de la pêche, à la fois passée et actuelle. Pour découvrir la cité et ses multiples bassins portuaires, grimpez sur ses hauteurs pour rejoindre la chapelle Notre-Dame-de-Salut, construite sur la plus haute des falaises du littoral : celle de la pointe Fagnet qui culmine à 110 mètres. De ce promontoire, c’est toute l’histoire et l’activité de la ville qui peut se lire dans le paysage. Une fois redescendus, partez sur les traces des Terre-Neuvas, au musée du même nom, pour comprendre l’histoire de ces forçats de la mer qui furent les premiers en Europe à écumer les bancs de Terre-Neuve, faisant de Fécamp, dès le XVIe siècle, une capitale de cet “or blanc” nommé morue. Dès l’an prochain, le musée sera transféré dans un bâtiment de l’avant-port, sur le Grand Quai, juste à côté d’une ancienne saurisserie, qu’on appelait aussi, autrefois, “boucane”, comptant parmi les mieux conservées de Fécamp. Dans ces usines, on fumait le hareng au-dessus des braises du “boucan”, un feu composé de copeaux de hêtres. Dans son prolongement, vous trouverez le bassin Bérigny – où les chalutiers attestent que la pêche artisanale est encore vivante – et le marché aux poissons où vous pourrez vous approvisionner. Partez ensuite découvrir les deux autres “fiertés” de la ville. La fastueuse église abbatiale gothique de La Trinité, fondée par les Ducs de Normandie à la fin du XIIe siècle, est remarquable tant par ses proportions que par son ornementation intérieure renfermant, notamment, des chapelles et tombeaux d’abbés du XIIIe siècle, ceints de clôtures de pierres sculptées de motifs floraux du XVe siècle. Ne manquez pas non plus le Palais Bénédictine où l’on produit toujours la liqueur Bénédictine issue de la distillation de 27 plantes et épices et exportée à 90% aux États-Unis et en Asie. Dans cet extravagant palais bâti au XIXe siècle dans un style néogothique et Renaissance, vous découvrirez les collections de son fondateur, dont une, très étonnante, de verrous et serrures anciennes. Vous apprendrez aussi l’histoire de la fameuse liqueur mise au point par un moine bénédictin au XVIe siècle, avant de parcourir une partie des caves et des chais qui sillonnent le sous-sol des rues et bâtiments alentour.

 

 

Cette côte où alternent ports de pêche, stations balnéaires et villages plus intimistes

 

Quittez ensuite Fécamp par la D79, en essayant de longer la côte au plus près jusqu’à Veulettes-sur-Mer qui offre une grande plage. Vous pourrez aussi rallier directement Saint-Valéry-en-Caux qui, un peu comme Étretat, est nichée entre deux murs de falaises. Malheureusement détruite en grande partie pendant la Seconde Guerre mondiale, elle ne conserve que quelques bâtisses anciennes, comme la maison Henri IV (XVIe siècle) et le cloître des Pénitents (XVIIe siècle). Mais c’est surtout pour son ambiance de port de pêche, au cœur de la ville, qu’on l’apprécie, d’autant que l’on peut aller acheter son poisson directement aux bateaux qui reviennent de la pêche. Seulement cinq kilomètres séparent Saint-Valéry de Veules-les-Roses et pourtant leurs ambiances sont bien différentes. C’est d’ailleurs tout le charme de cette côte où alternent ports de pêche, stations balnéaires et villages plus intimistes, davantage tournés vers les terres, comme Veules-les-Roses, un des plus étonnants de cette côte. Il s’enorgueillit d’être baigné par le fleuve le plus court de France, la Veule, qui a juste le temps sur ses 1194 m de longueur de traverser le village et ses nombreux anciens moulins, avant de se jeter dans la mer ! Du parking de la Cressonnière, situé à l’entrée du bourg, part un circuit pédestre de 3,5 km qui suit au plus près le cours de la Veule, de sa source à son embouchure. Jalonné d’explications, il nous fait découvrir les charmes multiples de ce village, l’un des plus anciens et des mieux conservés du pays de Caux. En continuant de longer le littoral, vous passerez successivement à Sotteville où un escalier de quelque 230 marches a été creusé dans la falaise pour accéder à la mer, puis à Saint-Aubin qui dispose d’une belle plage.

 

 

Les jardins de Varengeville

 

Puis rejoignez Varengeville-sur-Mer, autre village étonnant composé de plusieurs hameaux éparpillés le long de chemins creux, dans un cadre typiquement normand. Ici, plus qu’ailleurs encore sur cette côte, la nature, le climat et la lumière qui séduisirent les Impressionnistes se sont secrètement unis pour offrir un écrin nourricier à de magnifiques jardins, tous aussi différents que superbes. C’est surtout pour eux qu’on s’arrête à Varengeville et non pour la plage qui est inaccessible (la falaise étant très abrupte), mais on pourra contempler la vue, depuis les hauteurs du phare d’Ailly ou de l’église Saint-Valéry, entourée de son petit cimetière marin où repose Georges Braque. Si vous souhaitez visiter quelques jardins, notez que trois sont vraiment exceptionnels. Pour commencer, rendez-vous au parc du Bois de Moutiers, situé en contrebas de la chapelle Saint-Valéry. Créé à la fin du XIXe siècle par deux Britanniques passionnés de jardin à la demande de Guillaume Mallet qui leur fit également construire sa maison dans le style “Arts and Crafts” (l’équivalent britannique de l’Art Nouveau), il a été conservé et sans cesse amélioré durant plus de cent ans grâce à l’implication des générations successives de la famille Mallet. La conception du jardin est avant tout indissociable de la maison, que l’on peut visiter et qui regorge de détails d’ingéniosité. Unique en France, elle est aujourd’hui classée, comme le parc, divisé en deux parties principales, l’une constituée d’un ensemble de jardins clos “dessinés” autour de la maison et conçus comme étant son prolongement, l’autre d’un grand parc de plus de dix hectares, richement planté et orienté vers la mer. Les premiers sont de véritables “appartements verts”, clos de murs prolongeant la maison et consacrés à des couleurs, odeurs ou atmosphères spéciales. Par exemple, il y a le jardin blanc, où l’on trouve uniquement des végétaux aux floraisons blanches et aux feuillages en nuances de vert, la cour ronde, pavée et plantée à ses quatre coins, et enfin les mixed-borders anglaises (haies), toujours magnifiquement fleuries de vivaces. Plus loin, ils font place à des massifs cernés de carrés de buis taillés et plantés d’une végétation souple et luxuriante, qui s’ouvrent sur le vaste parc, appelé le “bois”, qui s’étage jusqu’à la mer à travers une riche collection d’arbres ornementaux de pays lointains (Amérique, Asie, Turquie, etc.) et de plantes venues du monde entier, notamment des massifs de rhododendrons géants pouvant atteindre 10 mètres de hauteur et d’étonnants hydrangéas, que l’on nomme plus communément hortensias. D’ailleurs, si vous ne le saviez pas déjà, c’est à deux tours de roues d’ici, toujours sur la commune de Varengeville, que se tient la plus grande collection d’hydrangéas plantés du monde, la collection Shamrock. Située à proximité du manoir d’Ango (XVIe siècle), elle est une autre invitation à l’émerveillement ! Car si chacun connaît le fameux “hortensia-boule” qui s’épanouit à foison en Bretagne, peu d’entre nous savent qu’il en existe plus de 1200 variétés différentes, issues de la nature et de sélections obtenues depuis plus d’un siècle par les horticulteurs. Commencée il y a plus de 25 ans, cette collection vivante comprend à ce jour près de 2000 plants, dont certains uniques au monde, répartis sur 2,5 ha et provenant le plus souvent du Japon, berceau d’un très grand nombre d’espèces. Bouquets ronds, bouquets plats, panicules…, plus qu’une visite, c’est un festival d’élégance et de couleurs subtiles, allant du bleu au rouge, en passant par toutes les teintes intermédiaires, du plus clair au plus obscur, qui vous attend aux jardins de Shamrock. Un moment rare, où le temps semble s’arrêter au contact de ces plantes merveilleuses.

 

 

Du château de Maupassant à Dieppe

 

De retour à la réalité, descendez d’environ 10 kilomètres, à l’intérieur des terres, pour rejoindre le château de Miromesnil, à Tourvilles-sur-Arques. Outre qu’il vit naître Maupassant, ce solide château des XVIe et XVIIe siècles est construit et ceint de murs en briques orangées, derrière lesquels s’épanouit un jardin potager exceptionnel. Séparés par des allées de gazon, les carrés de légumes et de fleurs, sagement ordonnés aux pieds d’arbres fruitiers, contrastent avec la profusion toute britannique des bordures de fleurs annuelles, bulbes ou plantes vivaces qui les entourent dans une fantastique harmonie de couleurs délicates qui varient au fil des saisons. Des rosiers courent le long des branches des arbres fruitiers, des clématites le long des murs, tandis que les espèces de légume, parfois rares, s’ordonnent selon les besoins et goûts des maîtres des lieux et du jardinier. Car ce jardin potager (remis en état en 1950 par la comtesse Bertrand de Vogüé, grand-mère des propriétaires actuels) est resté fidèle à sa vocation initiale de jardin “nourricier” et de “plaisir”. Enfin, de là, vous remonterez tout naturellement vers la mer, sur Dieppe, son port, sa plage et son impressionnant château-musée.

 

 

Informations pratiques de la Côte d’Albâtre 

 

  • Comité départemental du Tourisme de Seine-Maritime : 6, rue des Vipères d’Or - CS 70060 - 76420 Bihorel Cedex. Tél. 0235121010. www.seine-maritime-tourisme.com.
  • Office de tourisme du Plateau de Caux Maritime : quai d’Amont 76460 Saint-Valéry-en-Caux. Tél. 0235970063. www.plateaudecauxmaritime.com.
  • Office de tourisme d’Étretat : place Maurice Guillard 76790 Étretat. Tél. 0235270521. www.etretat.net.
  • Office de tourisme de Fécamp : quai Sadi Carnot 76400 Fécamp. Tél. 0235285101. www.fecamptourisme.com.
  • Office de tourisme de Dieppe-Maritime : pont Jehan Ango 76200 Dieppe. Tél. 0232144060. www.dieppetourisme.com.

 

Guides et cartes :

 

Carte Michelin Départements n°304, Eure, Seine-Maritime.

Carte IGN, série Promenade, Le Havre-Rouen, n° 07 au 1/100 000.

Guide Vert Michelin, Normandie-Vallée de la Seine.

Guide du Routard, Normandie, Hachette.

 

Jardins :

 

  • Parc du Bois de Moutiers : route de l’Église 76119 Varengeville-sur-Mer. Tél. 0235851002. www.boisdesmoutiers.com.
  • Les jardins de Shamrock : route du manoir d’Ango 76119 Varengeville-sur-Mer. Tél. 0235851464. www.hortensias-hydrangea.com.
  • Le château de Miromesnil : 76550 Tourville-sur-Arques. Tél. 0235850280. www.chateaumiromesnil.com.

 

Bonnes tables :

 

  • Hôtel Le Rayon Vert sur le front de Mer à Étretat. Tél. 0235103890. hotelrayonvertetretat.com.
  • Chez Nounoute : 3, place Nicolas Seille, sur le port de Fécamp. Tél. 0235293808. www.cheznounoute.com.
  • La Passerelle au Casino de Saint-Valéry-en-Caux : 1, promenade Jacques Couture, en bord de mer. Tél. 0235578411. www.casino-saintvalery.com.
  • Au Grand Duquesne: 15, place Saint-Jacques, dans le centre de Dieppe. Tél. 0232146110. augrandduquesne.free.fr.
  • Les Pêcheurs d’Islande: pour se ravitailler en produits de la mer, trois points de vente : 41, quai Bérigny à Fécamp, tél. 0235280055, ou 73, rue de la Barre à Dieppe, tél. 0235405905, ou 6, quai du Havre à Saint-Valéry-en-Caux, tél. 0235976418. www.pecheurs-islande.eu.

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