Drôme Provençale, jardins méditerranéens
Sous des ciels purs nettoyés au mistral, les pays des Monts du Vaucluse, du Ventoux et des Baronnies en Drôme Provençale nous offrent leurs paysages à la nature généreuse. D’Avignon à Montélimar, entre bourgs de plaines et villages perchés, les petites routes buissonnières nous mènent à travers le décor somptueux d’un jardin géant tapissé de vignes, de lavande, d’oliviers et d’arbres fruitiers. (Par Annette Soumillard et Marc Grenet)
Mont Ventoux, le Géant de Provence
Tant mieux si le pourtour du Mont Ventoux n’a pas la renommée du Luberon et de ses villages comme Gordes et Roussillon. Tant mieux pour le visiteur qui, loin de l’agitation estivale de la Côte d’Azur et de son proche arrière-pays, peut découvrir une terre plus secrète, plus authentiquement rurale, plus sauvage aussi, que les petits pays tout autour de son imposant massif invitent à parcourir. Surnommé le "Géant de Provence", le Mont Ventoux est, au même titre que le mistral, indissociable de la Provence. Visible à des dizaines de kilomètres à la ronde, il marque de toute sa prestance les paysages environnants du haut de ses 1912 mètres d’altitude. Et ce géant débonnaire, avec son crâne chauve au décor lunaire couronné d’un imposant relais de télécommunications, est d’autant plus majestueux qu’il s’élève tout net au-dessus de la plaine et des plateaux du Vaucluse, sans que rien ne vienne troubler pour l’œil sa silhouette pyramidale. Bien qu’il soit vauclusien, tous les pays sur lesquels il rayonne chérissent à leur façon leur sommet : Pays du Comtat Venaissin, des Dentelles de Montmirail, des Gorges de la Nesque, de Sault ou des Baronnies, chacun perçoit "Lou Ventour" à sa façon en fonction de son territoire. Et le voyageur qui prend le temps d’en contourner les versants sud et nord découvrira une véritable mosaïque de paysages. Côté sud, on l’aperçoit depuis la vallée du Rhône et même depuis Avignon, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest, puisque par temps clair il offre au célèbre pont de la Cité des Papes comme une toile de fond blanche due à son sommet de calcaire, dénudé en été et enneigé l’hiver.
L’Isle-sur-la-Sorgue, la Venise Comtadine
Au départ d’Avignon, pour rallier ses flancs sud dont les pentes descendent vers la plaine regorgeant de vignes et de vergers, plutôt que d’emprunter la D942 qui relie directement Carpentras, notre itinéraire emprunte les chemins de traverse pour rejoindre l’Isle-sur-la-Sorgue. Son charme réside dans les canaux et bras de la Sorgue qui la parcourent et lui valent le surnom de “Venise Comtadine”, c’est-à-dire du Comtat Venaissin, ancien fief des papes d’Avignon dont elle fut autrefois la ville principale. Mais aussi par les souvenirs vivants de son histoire, comme les "nego chin", ces barques à fond plat qui servaient autrefois aux pêcheurs, ou encore ses vieilles roues à aube moussues, dernières rescapées du temps où les eaux de la Sorgue fournissaient la force motrice nécessaire à l’artisanat et à l’industrie textile. Depuis une trentaine d’années, l’Isle est devenue un haut lieu pour les chineurs : ses cinq villages d’antiquaires et le marché des brocanteurs du dimanche, le long des canaux, ont fait sa notoriété. Enfin, s’il vous faut un argument supplémentaire pour la visiter, sachez que c’est aussi la patrie du poète surréaliste René Char, natif de l’endroit et dont l’inspiration fut souvent imprégnée des lieux. Une exposition permanente lui est d’ailleurs consacrée à l’Hôtel Campredon.
Pernes-les-Fontaines et Carpentras, capitales du Comtat
En poursuivant par la D938 en direction de Carpentras, arrêtez-vous à Pernes-les-Fontaines, la ville aux quarante fontaines dont le circuit est un excellent prétexte pour découvrir le patrimoine prestigieux de cette vieille cité, ancienne capitale du Comtat, accompagné du doux murmure de l’eau en fond sonore. Vous traverserez ensuite Carpentras qui lui succéda au titre de capitale en 1320 et le resta jusqu’au rattachement à la France en 1791. À ce titre elle a hérité d’édifices prestigieux, notamment la Synagogue édifiée en 1367 et remaniée au XVIIIème, la plus vieille de France encore en activité. Pour en découvrir davantage, vous pourrez suivre le "circuit berlingot" balisé par une centaine de signes berlingot (la spécialité sucrée de la ville) et agrémenté de panneaux renseignant sur les principaux monuments de la ville.
À l’assaut des Dentelles de Montmirail
Toujours avec le Mont Ventoux en ligne de mire, c’est par la D7 que vous quitterez Carpentras en direction des Dentelles de Montmirail dont on repère de loin les silhouettes en dents de scie. Avec leurs crêtes rocheuses finement acérées, elles surgissent au-dessus des vignes, de plus en plus présentes aux abords de Beaumes-de-Venise, petit bourg tranquille réputé pour son muscat, un vin doux naturel. De là, le massif des Dentelles de Montmirail s’étire sur une quinzaine de kilomètres, dressant ses parois de calcaire aux formes évoquant des forteresses cathares. Pour les explorer, deux routes s’offrent à vous : la petite D90 qui grimpe jusqu’au col de la Chaîne (474 mètres) pour rejoindre les villages de Lafare et Suzette, en dégageant de superbes points de vue.
Vacqueyras et Gigondas, crus réputés
Une autre solution consiste à contourner le massif en passant par les D8 et D7 qui traversent les vignobles des crus prestigieux de Vacqueyras et Gigondas, paisibles villages surveillant les vignes qui mûrissent à leur pied sous un soleil généreux. Au passage, ne manquez pas de déguster leurs vins comptant parmi les plus réputés des Côtes du Rhône, notamment à Gigondas dont le village haut a conservé son aspect médiéval et vous propose un cheminement de sculptures contemporaines. Essayez de stationner chez un viticulteur car Gigondas est aussi un bon point de départ pour quelques randonnées pédestres dans les Dentelles de Montmirail, dont on a ici une des plus jolies vues, ne serait-ce qu’en montant au col du Cayron.
Séguret, plus beau village de Provence
Poursuivez ensuite votre route en direction de Sablet puis de Séguret. Ce superbe village, construit au bas d’une colline rocheuse avec laquelle il se confond, est considéré comme l’un des plus beaux de Provence notamment depuis sa restauration. Prenez le temps d’arpenter ses rues, décor évoquant une crèche provençale, avant de rejoindre l’agitation très touristique de Vaison-la-Romaine où il est d’ailleurs difficile de stationner.
Vaison-la-Romaine, notre Pompéi national
En matière de ruines romaines, Vaison est notre “Pompéi national” et à ce titre elle s’inscrit dans tous les circuits touristiques. Établie de part et d’autre de l’Ouvèze, Vaison-la-Romaine n’est en fait pas une, mais deux et même trois villes juxtaposées. On devrait dire, selon les cas, Vaison la romaine, Vaison la médiévale et Vaison la moderne. Rive droite s’imbriquent la ville actuelle et la ville antique, dont les quartiers de Villasse et de Puymin furent dégagés au XXème siècle. Puis c’est par le vieux pont de quelques 2000 ans, dont la belle et unique arche résiste vaillamment aux crues, que l’on rallie l’autre rive où une rude montée conduit au sommet du rocher où siège la Haute-Ville médiévale dont l’enceinte semble suspendue en à-pic au-dessus de l’Ouvèze.
Malaucène, départ de l’ascension du Ventoux
Puis il sera temps de rejoindre Malaucène pour partir à l’assaut du Mont Ventoux. Mais rien ne sert de gravir ses pentes, même sans effort au volant de votre véhicule, si le Géant de Provence a la tête dans les nuages. Mieux vaut choisir un jour de bonne météo car n’oubliez pas que dans Ventoux il y a "vent" et il peut être violent. Il est donc préférable d’attendre que le mistral colore le ciel d’un bleu profond et s’en aille ! Ces jours-là, la vue au sommet est incomparable et une table d’orientation permet de se repérer dans ce superbe panorama : le Luberon, les Alpes, la vallée du Rhône et même, pour des yeux aiguisés, la Méditerranée. Visions lointaines qui accentuent l’exotisme de cette expédition montagnarde aux décors lunaires et à tout de même 1900 mètres d’altitude ! Du coup, on se bouscule un peu sur un tel site et il est préférable d’y monter le matin en empruntant au départ de Malaucène la D974 qui est bonne mais très empruntée par les sportifs qui s’y mesurent à vélo. C’est d’ailleurs une des étapes mythiques du Tour de France, marquée en 1967 par la mort du coureur Tom Simpson, victime du dopage. Depuis, au pied de sa stèle, les coureurs amateurs continuent à déposer quelques objets personnels en son hommage.
Sault, pays du ciel
Ensuite, la route redescend sur Sault et son pays, le "pays du ciel" comme l’appelait Jean Giono. En cette saison, comme dans un patchwork, les terres à perte de vue s’habillent d’un velours côtelé nuancé de violets et de mauves déclinés par les lavandes et le lavandin. Bien au-delà de Montbrun-les-Bains où l’on bifurque, sur la D40 qui suit, en se jouant de la frontière administrative entre Vaucluse et Drôme. Ici, le ruisseau-torrent du Toulourenc coule au pied du versant nord du Mont Ventoux. Un versant beaucoup plus abrupt et dont les massifs boisés renforcent l’austérité. Ce qui ne semble pas déranger Brantes, superbe village aux maisons agrippées à la roche.
Buis-les-Baronnies, la Wall Street du tilleul
Laissant le Mont Ventoux et le Vaucluse derrière nous, on bifurque sur les Baronnies Drômoises, autre pays de moyenne montagne où s’épanouissent l’olivier et la lavande. Aux abords de la commune de Buis-les-Baronnies, les paysages bruissent du vert doré des tilleuls. Jusqu’encore récemment, elle en était la capitale mondiale et on la surnommait la "Wall Street du tilleul" du fait de sa célèbre foire annuelle. Aujourd’hui, la production n’est plus assez concurrentielle et la foire s’est transformée en Fête du Tilleul qui a lieu chaque année au mois de juillet. Si vous ne pouvez pas assister à cette fête, visitez Buis le mercredi matin, jour de marché, lorsque camelots et touristes s’emparent de la place des Arcades et des petites rues adjacentes dans une explosion de couleurs et de parfums.
Circuit de l’olivier ou route de la lavande
Selon la saison, vous aurez le choix de suivre le "circuit de l’olivier" ou la "route de la lavande" qui vous conduiront à Nyons par des chemins différents. Le premier en passant notamment par les jolis villages de Mirabel-aux-Baronnies qui abrite deux moulins à huile, Puyméras, Mérindol-les-Oliviers, Faucon, Mollans-sur-Ouvèze et Pierrelongue dont on aperçoit au loin l’étonnante chapelle Notre Dame de Consolation perchée sur un piton rocheux. Le second en empruntant la D108 puis la D64 aux paysages ondulants sous des vagues de lavandes. Vous rejoindrez alors Nyons via le col d’Ey et les gorges de l’Eygues que l’on peut parcourir jusqu’au magnifique village perché de Saint-May.
Nyons, capitale des Baronnies et de l’olive noire
C’est par des champs d’oliviers que s’annonce la capitale des Baronnies, plus connue pour ses olives que pour sa lavande. L’olivier, dont les feuilles vert argenté miroitent sous le mistral tout autour de la Méditerranée, se plaît dans cette contrée protégée des colères du mistral par les montagnes qui l’encadrent, et où la température descend rarement en dessous de zéro. La "tanche", la variété du pays, est une olive noire un peu ridée, la première en France à avoir obtenu une AOC, tout comme son huile "douce et fruitée, idéale pour la cuisson et la friture" comme on nous l’explique au Moulin Dozol-Autrand, l’un des moulins à huile traditionnels de la ville. Vous le trouverez niché au pied de l’impressionnant pont roman du XVe siècle dont l’arche unique enjambe l’Eygues. Ici depuis le XVIIIe siècle, on perpétue la méthode de presse traditionnelle à l’aide de scourtins, des tapis de coco fabriqués dans l’atelier de La Scourtinerie situé sur les hauteurs de Nyons et également ouvert à la visite. On vous explique également comment déguster l’olive et l’huile d’olive de Nyons : piquée au sel, en tapenade ou arrosant d’un mince filet un picodon, le petit fromage de chèvre local. De l’autre côté de la ville, le Musée de l’Olivier retrace l’histoire et la culture de cette perle noire dont les Nyonsais sont si fiers, à tel point qu’ils en oublieraient la lavande que l’on distille aussi en ville, à la distillerie Bleu Provence, sur les bords de l’Eygues. La fumée blanche s’échappant de la cheminée embaume l’air d’un parfum à la fois subtil et persistant qui vous accompagne jusque dans la vieille ville où l’on flâne avec plaisir, surtout le jeudi pour profiter de l’animation du marché, avant de prendre une boisson rafraîchissante à l’une des terrasses des cafés de la place des Arcades.
Grignan, dernière demeure de la Marquise de Sévigné
Sur la route de Montélimar, à une vingtaine de kilomètres de Nyons, Grignan surgit après un virage de la D941. Sans conteste l’un des plus élégants villages de la Drôme, il est couronné par son imposant château bâti sur un piton, les pieds dans la lavande. C’est dans ce château que la Marquise de Sévigné vint finir ses jours après avoir longuement correspondu avec sa fille mariée au Comte de Grignan. Considéré comme l’un des plus grands et des plus beaux châteaux du Midi, il dresse avec noblesse ses façades de style Renaissance en parfaite harmonie avec les maisons qui s’enroulent coquettement à ses pieds. Néanmoins nul besoin d’être un fervent admirateur de la Marquise de Sévigné pour aller visiter ce monument qui abrite un très beau mobilier d’origine, et présente des terrasses d’où le regard plonge sur la campagne du Tricastin, autre royaume de vignobles réputés.
La Drôme se ressent plus qu’elle ne s’explique
En remontant vers le nord les paysages, plus sauvages encore, des environs de La Motte-Chalancon et de Saint-Nazaire-le-Désert combleront les amateurs d’espaces préservés. On pénètre ici dans une petite contrée un peu à l’écart du reste de la Drôme Provençale, à la limite du Diois et des Baronnies, mais qui mérite vraiment le détour. Là peut-être plus qu’ailleurs encore, la Drôme se ressent plus qu’elle ne s’explique et l’on découvre toujours avec autant de plaisir sa nature exceptionnelle en se laissant guider par le bout du nez !